L’histoire est un peu compliquée :

Christophe-Paul Gautron de Robien (Dissertation sur la formation de trois différentes espéces de pierres figurées qui se trouvent dans la Bretagne, 1751) mentionne que certains minéraux cruciformes étaient nommées « pierres de macles » en Bretagne par analogie avec les macles hiéraldiques (« mascle » en vieux français) que l’on retrouve, par exemple, dans les armoiries de la famille Rohan. Gautron de Robien les regroupe avec un autre type de « pierres de croix » bretonne, les « croisettes de Bretagne » (staurolites maclées de la région de Coray-Scäer).

Les minéraux ET CONCEPTS DANS de la collection DE TRAVAIL D’Haüy

Sa collection personnelle compte de nombreux minéraux de localités anciennes dont certains seront décrits plus tard. Et, en premier lieu, des minéraux de France :

Divers minéraux français de la collection Haüy  (de haut en bas, et de gauche à droite) : deux azurites de Chessy (Rhône), une ‟staurotide” (staurolite maclée en roue, Coray-Scaër, Finistère), un ‟feldspath déciduodécimal” (sanidine maclée du Puy du Four Laboue, Puy-de-Dôme) puis une ‟urane oxydée” (méta-autunite de L’Ouche Diau, Sâone-et-Loire) centrale, une ‟chaux sulfatée géminée” (gypse maclé, Montmartre, Paris) et un antimoine natif (Les Chalanches, Isère). L’autunite fut donnée par Joseph François Denis de Champeaux (1775-1845), l’inventeur du minéral en 1799, décrite ensuite par Haüy et qui fut renommée autunite par les anglais Henry-James Brooke et William Hallowes Miller (1852). Cet échantillon est donc le cotype officiel de l’espèce car les autunites d’origine de Champeaux (ses holotypes) semblent perdus à ce jour. L’échelle vaut 1 cm. Paris, MNHN, collections Haüy. Photos : F. Farges.

Mais aussi des échantillons de « vieux » et célèbres gisements d’Europe :

Divers minéraux étrangers de la collection Haüy (de haut en bas, et de gauche à droite) : ‟fer calcareo-siliceux” (renommée ilvaïte en 1811, Italie), acmite (renommée aegyrine, Norvège), cuivre sélénié argental dans flacon (eukairite, échantillon-type de l’espèce par Berzelius qui y découvra le sélénium, de Skrikerum, Suède) puis ‟argent noir” (polybasite, Freiberg, Allemagne), ‟4e espèce de cuivre arséniaté” sous cloche (clinoclase de Truro, Angleterre, échantillon-type de l’espèce, donné par de Bournon), ‟feldspath vitreux verdâtre coloré par du chlorite” (adulaire à clinochlore, Saint-Gothard, Suisse) puis ‟cobalt gris” (cobaltite, Tunaberg, Suède), diamant stellé (probablement Brésil) et ‟urane oxidé” (torbernite Devonshire, Angleterre). L’échelle vaut 1 cm. Paris, MNHN, collection Haüy. Photos : F. Farges.

De gauche à droite : pyrargyrite (‟argent antimonié sufluré prismatique disjoint”, origine inconnue) ; deux proustites (‟argent antimonié [sic !] sulfuré sexocto décimal”, origine inconnue et ‟argent antimonié [sic !] sulfuré de forme indéterminable” de la mine Himmelsfurt, au sud de Freiberg, Saxe) dans lequel l’arsenic sera finalement dosé en lieu et place de l’antimoine. L’échelle vaut 1 cm.  Paris, MNHN, collection Haüy. Clichés : F. Farges.

Haüy forgea le concept de pseudomorphose et d’épigénie ce qui est remarquable à une époque où la cristallographie n’en est qu’à ses débuts : elle doit affronter de farouches opposants, comme Georges-Louis Leclerc de Buffon (1707-1788), qui trouvent dans ces cristaux, des exemples parfaits démontrant que certains cristaux ne suivent pas les prétendues règles des cristallographes. Car, en effet, un grès ne peut pas former de cristaux comme une malachite être cubique. Et pourtant ! Haüy apporta les bonnes réponses contre Buffon.

Calcite-grès (Fontainebleau, France)

Malachite d’après cuprite (Chessy, France)

L’échelle vaut 1 cm.

Paris, MNHN, collection Haüy. Photo : F. Farges.

C’est Romé de L’Isle qui avait introduit le mot « macle » (1783, II, p. 435; voir ci-contre) dans le sens qui va donner celui connaissons actuellement (association de deux ou plusieurs cristaux suivant des plans guidés par les lois de la cristallographie de l’espèce minérale impliquée) :

Macles, hémitropie, groupements, transposés et géminés

Des concepts majeurs : pseudomorphoses et épigénie

Par contre, Haüy introduit une nouvelle catégorie, les « cristaux géminés » qui sont aussi des appairages sans être, pour lui, des hémitropies : par exemple, le gypse « en fer de lance » est géminé non hémitrope (il est bel et bien maclé !).


C’est d’autant plus curieux que « maclé » en italien, se dit « geminato » (alors que la macle historique ou hiéraldique ou « mascle » se dit « losanga vuota »).

La vraie « macle » - anciennement « mascle» ou « mâcle » comme celle employée en hiéraldique : ici, le blason de la famille des Rohan (Bretagne) montrant 7 macles qui ne sont pas des chiastolites et encore moins des macles cristallographiques (que la langue française est compliquée !).

ou de « nouveaux » gisements aux Amériques :

Disthène (environs de New York, États-Unis) et diamant (Brésil).

Paris, MNHN, collection Haüy. Photo : F. Farges.

Une « pierre de macles » ou cristaux de chiastolite des Salles-de-Rohan (Bretagne, France) montrant la structure interne ce ses cristaux rappellant la « macle » hieraldique ou « mascle » en ancien français et anglais moderne.

Gypse maclé en « fer de lance » de Montmartre (Paris, France). Des spécimen de cette qualité de couleur et origine sont introuvables de nos jours. Longueur : 11 cm. Paris, MNHN, minéralogie, collection Haüy. Photo : F. Farges.

Haüy a toujours établi une scrupuleuse différence entre la collection du Muséum et la sienne : les plus beaux morceaux, comme l’on disait alors, tels ceux obtenus via Weiss ou l’empereur d’Autriche, étaient réservés à l’institution du Jardin des plantes. Néanmoins, il gardait les échantillons inférieurs pour sa collection de travail.

Cette collection de plus de 7 000 spécimens - incluant également roches, minerais, gemmes et objets d’art : il dû exister un catalogue originel tenu par Haüy mais il a disparu. Nous disposons d’une version traduite en français d’après le catalogue du duc de Buckingham en anglais (postérieur à Haüy) et mis à jour par ce dernier.

Argent natif et calcite (Kongsberg, Norvège). Paris, MNHN, collection Haüy. Photo : F. Farges.

Chalcopyrite et fluorite (Angleterre). Paris, MNHN, collection Haüy. Photo : F. Farges.

Sa collection de travail se compose de de nombreux dons : Pierre-Jacques Chiappero (MNHN) a recensé plus de 300 donateurs différents, des plus anonymes tel « Mr Charpentier » aux « célébrités » d’alors tel Alexander von Humboldt :

Un échantillon remarquable inscrit ‟4390   Sproo-glasertz rapporté par Humbolt de la mine de Fatatecas, au Mexique”. Il s’agit d’une stéphanite de Zacatecas donné à Haüy par le naturaliste allemand Alexander von Humboldt (1769-1859). Paris, MNHN, collection Haüy. Photo : F. Farges.

‟Quartz hyalin comprimé plagièdre” (localité non précisée, probablement de la région du Mont-Blanc) donné par la naturaliste suisse ‟Saussure fils” (Nicolas-Théodore, 1767-1845). L’échelle vaut 1 cm. Paris, MNHN, collection Haüy. Photo : F. Farges.

Alexander

von Humboldt

(1769-1859)

Nicolas-Théodore de Saussure

Comme Lacroix (1944) le signale à sa manière condescendante en parlant d’Haüy « il est peu probable qu’il ai donné un coup de marteau au delà de l’Ile de France et de la Picardie ».

Il est certain que Lacroix a donné davantage de coups de marteaux en dehors de France (suprémacisme de Paris envers la province et les colonies...) et inventorié de nombreux minéraux redondants avec son « écriture de chien » juste « pour faire du chiffre » qu’il a décrit des nouveaux minéraux qui n’allaient pas être rapidement discrédités ensuite, faute de bonne science... (mon avis car son livre sur Haüy est rempli d’erreurs et de préjugés).

Haüy réservait les plus beaux minéraux du monde entier au Muséum mais gardait les doubles dans sa collection personnelle que peu connaissent.

Christophe-Paul Gautron de Robien (1698-1756)

Il est donc curieux que les scientifiques actuels francophones continuent d’utiliser un nom issu de confusions quand les anglais distinguent « macle » (= chiastolite et en reprenant du français !), de « mascle » (losange hiéraldique et repris du vieux français !) et de « twin » / « crystal twinning ».

Ce qui entraine Romé de L’Isle de généraliser le terme « macle » de la chiastolite à la staurolite maclée puis de généraliser le terme « macle » à toute association géométrique de deux cristaux formant un ou plusieurs angles rentrants.


Ce faisant, Romé introduit plusieures confusions entre mascle, chiastolite, staurolite et macle.

Pour les macles, Haüy préfère qu’on parle de toute une zoologie : hémitropie, groupements, transposés et géminé: il n’a pas tord mais il ne sera pas suivi.

Deux « croisettes de Bretagne » de la collection Haüy, alias staurolite maclée obliquangle à deux cristaux dite « macle de Saint-André » (à gauche) et « en roue » à trois cristaux (à droite).

Comme indiqué ci-contre, Gautron de Robien regroupe ces « pierres de macles » avec un autre type de « pierres de croix » localement nommées "croisettes de Bretagne" (staurolites maclées des environs de Coray-Scäer) :

Après avoir intégré les écrits de Robien « à la lettre », Romé se convainc que la « pierre de macle » est une seconde variété basaltique (!) d’une même espèce minérale, le « schorl cruciforme » ou « pierre de croix ». La première variété étant la « croisette de Bretagne » (ce qui allait devenir dès 1798 un habitus cristallographique particulier de la staurolite).

On sent ici tout autant les géniales intuitions que les errements des premiers minéralogistes à une époque où l’analyse chimique allait se développer pour aider à clarifier ces questions.

Pour Haüy, la « macle » est ce que nous nommons aujourd’hui chiastolite (même s’il ne réalise pas qu’elle est une variété d’andalousite, un minéral qu’il nomme hélas ! « feldspath apyre » (apyre signifiant réfractaire au feu) qui sera renommée andalousite en 1798 par Delaméthérie).


Haüy forge le mot « hémitropie » pour les macles cristallographiques : il avait donc raison et, en français, nous ne devrions pas utiliser le mot « macle » pour ce qu’il est utilisé de nos jours car, grosso-modo, il veut dire losange.