LE « COUP » DE LA « collection » Weiss
LE « COUP » DE LA « collection » Weiss
Haüy fait également enrichir la collection de minéraux du Muséum via l’entremise de Napoléon Ier. En 1802, Haüy fait acquérir un exceptionnel ensemble de 1650 minéraux d’Europe orientale à un négociant autrichien de minéraux, « Mr. Weiss » (ou Weiß).
Louis-Nicolas Vauquelin
« Mr. Weiß » est un marchand de minéraux autrichien (actif entre 1806 et avant 1834) qui est quelquefois confondu avec le célèbre minéralogiste allemand de Berlin, Christian Samuel Weiss (1780-1856).
Il n’a guere laissé de traces même dans les annuaires de Vienne. Il s’appellait possiblement Josef, vivant à Neue Wieden au sud-ouest de Vienne (1806) :
Minéraux d’Europe orientale acquis par Haüy pour le MNHN en 1802 au négociant autrichien Weiss avec l’appui de Napoléon Bonaparte ; (de haut en bas, de gauche à droite) : malachite (Oural, Russie), sphalérite (Maramures, Roumanie) puis or natif (Volea Rosie, Roumanie), stibine (Baie Sprie, Roumanie) puis naygyagite sur rhodochrosite (Sacarimb, Roumanie) et améthyste (Nertschinsk, Russie). L’échelle vaut 1 cm. MNHN, minéralogie. Photos : F. Farges.
Selon les recherches de Pierre-Jacques Chiappero (MNHN), huit gemmes, dont quatre grands et somptueux diamants de couleur (un bleu, deux roses et un vert, d’un poids total que j’estime à 50 carats compte-tenu de leur prix) et 165 autres minéraux furent échangés contre ces 1650 spécimens ainsi qu’une grosse pépite d’or de 5,274 kg provenant de l’Académie des sciences :
Certains échantillons « doubles du Muséum » échangés à Weiss firent leur chemin en Autriche et l’Allemagne : ainsi, le minéralogiste allemand Dietrich Ludwig Gustav Karsten (1768-1810) écrit en 1807 avoir acquis « il y a quelques années déja » un « strahliges Horners » (chlorargyrite) via Weiss qui peut provenir du « cabinet impérial » à Paris, c’est-à-dire du Muséum... :
Un seul échantillon (d’or natif) possède encore ses étiquettes oriiginalles du marchand Weiss (W), échantillon n°60.
(merci à P.J Chiappero)
MNHN, minéralogie.
Photos : F. Farges.
Or natif (« Verespatak », Roșia Montană, Roumanie). Échantillon et détail. L’échelle vaut 1 cm. MNHN, minéralogie. Photos : F. Farges.
D’un autre côté, si le MNHN a compensé la perte de la grosse pépite de Pajot par un achat récent d’Australie inv. 201.2, 5 kg, ci-contre), le MNHN ne se remet pas d’avoir perdu quatre aussi grands et exceptionnels diamants de couleur car, même aujourd’hui, la collection n’en possède que cinq « grands » diamants (10-330 cts) dont aucun bleu, rose, ou vert de dimensions centimétrique.
La valeur, y compris scientifique, de ces diamants de couleur excèdent infiniment celle annotée en 1802, guêre plus de 250 000 euros actuels ! (en euros constants, ils vaudraient actuellement, environ, 100 fois plus).
Sylvanite (Sigismond, Baia de Aries, Roumanie). La barre d’échelle vaut 1 cm. MNHN, minéralogie. Photo : F. Farges.
Quartz améthysté (Banska Stiavnica, Tchèquie). La barre d’échelle vaut 1 cm. MNHN, minéralogie. Photo : F. Farges.
Crocoïte (Beresov, Russie). La barre d’échelle vaut 1 cm. MNHN, minéralogie.
Photo : F. Farges.
Or natif (Valea Roșia Montană, Roumanie). La barre d’échelle vaut 1 cm. MNHN, minéralogie. Photo : F. Farges.
LE DON DE L’EMPEREUR D’AUTRICHE (1815)
En 1815, l’empereur d’Autriche, François II (1768-1835) fait à Haüy un don exceptionnel d’une seconde collection de minéraux d’Europe centrale et orientale, corpus qui rejoint les collections du MNHN.
Valentinite (Malack, Tchèquie). La barre d’échelle vaut 1 cm. MNHN, minéralogie. Photo : MNHN
Calcédoine après fluorite
(Triesta, Roumanie). La barre d’échelle vaut 1 cm. MNHN, minéralogie. Photo : MNHN
Fluorite (Annaberg, Allemagne). La barre d’échelle vaut 1 cm. MNHN, minéralogie. Photo : MNHN.
Leopold Kupelweiser : l’empereur François II d’Autriche (1819). ©wikimedia
Pechblende (Jachymov, Tchéquie). La barre d’échelle vaut 1 cm. MNHN, minéralogie. Photo : MNHN
Kermesite (Malacky, Tchèquie). L’échelle vaut 1 cm. MNHN, minéralogie. Photo : MNHN.
Agate (Saxe, Allemagne). L’échelle vaut 1 cm. MNHN, minéralogie. Photo : MNHN.
Un impact européen
Johann Samuel Ludwig Halle : Dietrich L. G. Karsten (avant 1810). ©wikimedia
C’est dire le prestige qu’a gagné la collection du MNHN sous Haüy.
« D’autres morceaux échangés à Mr. Weiss »
À cette occasion, l’empereur rencontre l’abbé-minéralogiste quand les troupes coalisées occupent Paris. On dit que l’empereur parla beaucoup à Haüy, ce qui n’est pas sans rappeler l’anecdote où l’empereur Charles VI du Saint-Empire parla en 1728 à l’abbé-compositeur Antonio Vivaldi (1678-1741) « l’empereur a entretenu longtemps Vivaldi sur la musique ; on dit qu’il lui a plus parlé à lui seul en quinze jours qu’il ne parle à ses ministres en deux ans...».
P.-L. Ghezzi : Vivaldi (1723) ©wikimedia
J.van Schuppen ; Charles VI (18th century). ©wikimedia
lettre de l’abbé Conti à Madame de Caylus
Or natif sur quartz (Zillerthal, Autriche). L’échelle vaut 1 cm.
MNHN, minéralogie. Photo : F. Farges.
La valeur de cet échange est estimé à 150 000 francs de l’époque (dont 89 000 pour les 4 diamants...).
En 2014, je retrouvais un vélin à la Bibliothèque Centrale que Pierre-Jacques Chiappero identifia immédiatement comme celui de cette pépite peinte par Nicolas Maréchal (1725-1802) :
Je reconstitue infographiquement la pépite de Pajot en 3D : les 2 dessins se superposent assez-bien (ci-contre) quand l’un est retourné. Si le vélin est grandeur nature, comme il se doit, et, compte-tenu du morceau restant de dimensions connues, il est possible d’extrapoler un volume approximatif : 8,8 x 7 x 3,3 cm.
Selon les recherches de Pierre-Jacques à paraître, cette pépite de plus de 5,2 kg provenait du « Pérou » (comprendre de la vice-royauté de Nouvelle-Espagne). Elle fut donnée à l’Académie des sciences par Louis-Léon Pajot, comte d’Ons-en-Bray (1678-1754) avec ses importantes collections naturalistes et mécaniques mais à condition qu’on les conserva...
Jean-Baptiste Oudry : portrait (non daté) de monsieur Pajot. Paris, musée du Louvre.
Weiss put la faire fondre à moins qu’elle n’existe encore dans quelque collection, sans sa provenance...
Pierre-Jacques a également retrouvé le morceau détaché, illustré sur le vélin (flèches rouges ci-dessus): il est inventorié 65.49, contient des fragments quartz, pèse 352,5 g :
il permet d’obtenir une échelle précise de la pépite perdue de l’Académie que je préfère renommer « pépite de Pajot », le vrai légataire, d’autant que ses volontés légales n’ont pas été respectées.
la « PÉPITE DE l’Académie »
pépite d’or
inv. 65.49
Weiss voulait, pour deux saphirs de la Couronne des sommes ridiculement faibles dont 1 800 francs pour le 4e saphir, bicolore de plus de 19 2/16 karats anciens (19,6 ct), estimé 6 000 livres en 1791 :
Concernant les 4 diamants, celui dit « fleur de pêcher » (rose clair) est finalement estimé 30 000 francs soit une valeur estimée à 90 000 livres de l’Ancien Régime.
Sur la base de l’inventaire de 1791, ce diamant devait peser autour de 18-20 carats (± 5 carats suivant les caractéristiques gemmologiques).
Pour le diamant bleu estimé 35 000 livres, le poids est d’environ 20 carats.
Le diamant vert devait peser quelques carats.
Quand au « diamant rose » estimé 18 000 francs, il devait d‘agir probablement d’un diamant plus ou moins incolore, taillé en rose et d’une vingtaine de carats.
Weiss a donc minimisé d’un facteur 3 environ pour construire sa marge de revendeur.
Par chance, il sera ôté de la transaction comme le Grand Saphir de Louis XIV.
Le 4e saphir des joyaux de la Couronne de France (19,6 ct) et son estimation de 1791. Photos : F. Farges. Paris, MNHN, minéralogie.
Grand Saphir de Louis XIV, premier saphir des joyaux de la Couronne de France (135,8 ct). Photo : F. Farges. Paris, MNHN, minéralogie.
Il s’agisait donc de gemmes très significatives qui ont alors été perdues sans parler d’un saphir exceptionnel qui fut perdu, de valeur similaire au Grand Saphir ci-dessus et d’une belle table d’émeraudequi n’est pas sans rappeler cette encore conservée, pesant environ 17 carats :
Émeraude (ca. 17 ct). Photo : F. Farges. Paris, MNHN, minéralogie.
Épilogue sur ces échanges
Quant le teigneux-aigri Balthazzar Sage (1740-1824) critique « l’abbé H. » pour ce « troc », il qualifie Weiss de « brocanteur » : on ne peut lui donner entièrement tort même si de beaux minéraux subsistent.
Julien Léopold Boilly : Balthazar Sage (1822). ©wikimedia/Wellcome
lire le Tableau comparé de la conduite... par Sage (1814) où Sage règle ses comptes...
En bref, Sage critique « l’abbé H. » mais il n’avait pas fait si mieux sous l’Ancien Régime avec M. d’Angivillier (Charles-Claude Flahaut de la Billarderie, comte d'Angiviller (1730–1809) et son épouse Elisabeth-Josèphe de Laborde (1725-1808) en sciant une table de 0,6 cm d’épaisseur sur un cristal de 2,7 cm de hauteur soit une réduction de 20 % !
Personellement, un « prisme à neuf pans » me fait plutôt penser à une indigolite qu’un saphir (est-ce le doute d’Angivillier ?) : à cette époque, les cristaux gemmes d’elbaïte de couleur, notamment rubellite et indigolite, étaient très prisés d’autant qu’un saphir de 6 mm d’épaisseur doit etre très foncé à l’origine pour constituer la gemme de qualité qui fut offerte à madame de Marchais. Une recherche lapidaire montre qu’elle pesait, environ, 26 carats bruts et 18 carats retaillée et permet d’affiner la clarté de sa couleur :
Quand au beau saphir ayant disparu, estimé 50 000 louis (150 000 livres) laissont la parole à Sage :
Ceci peut expliquer la valeur énorme offerte à Weiss pour ce cristal car, à cette époque, un cristal de saphir bleu aussi foncé n’aurait pas jamais valu autant. J’ai calculé son poids de saphir : environ 180 carats « bruts », soit 70 carats retaillé dans le meilleur des cas soit environ 30 000 livres (ou francs) soit 3 000 louis maximum.
En équivalent-indoglite, le cristal pèse 140 ct.
Clairement, Weiss sut qu’il faisait une bien meilleure affaire avec un cristal d’elbaïte « au naturel » car retaillé, il aurait été trop sombre de toutes manières. D’autant qu’il semble avoir été davantage un négociant de minéraux que de gemmes. Enfin, je fais davantage confiance à d’Angvillier, intendant du Jardin du roi, qu’à Sage pour identifier une gemme.
Simulations photoréalistes (DiamCalc) basées sur ses dimensions annoncées par Sage et employant le même spectre d’absorption d’une indigolite du Brésil : (gauche) cristal d’origine ; (milieu) tranche sciée par Sage ; (droite) gemme à degrés la plus évidente possiblement faite taillée par d’Angivillier de la tranche. Simulations : F. Farges.
18 ct
26 ct
140 ct
Joseph-Siffred Duplessis : portrait de Charles-Claude Flahaut de la Billarderie, comte d’Angiviller (1779). ©wikimedia/Château de Versailles.
Son cabinet minéralogique était l’un des plus renommés de Vienne (1809 et 1834) :
« À Wien, était autrefois dans la collection du marchand de minéraux Weiß un béryl brillanté pesant 595 cts. »
Peut-être était-il ce « Josef Weiß » enregistré à Wieden comme une sorte d’orfèvre en argent fin et vendeur de livres ?
« Morceaux échangés à Mr. Weiss »
Haüy arrive à acquérir pour le Muséum l’une des plus belles collection de minéraux d’Europe orientale d’alors. Que de merveilles !